La familia grande de Camille Kouchner

Ce livre n’est pas seulement le récit d’un inceste, celui qu’aurait commis le beau-père de Camille Kouchner sur son frère jumeau Victor, c’est une analyse d’une famille dysfonctionnelle.

La mère, Évelyne, essayiste et politologue, ancienne maîtresse de Fidel Castro, a été élevée très librement par un père haut fonctionnaire et une mère féministe.

La tante n’est autre que l’actrice Marie-France Pisier.

Le père, Bernard Kouchner, co-fondateur de Médecins sans frontières, est perpétuellement absent.

Pour les mortels qui n’ont pas la « chance » d’évoluer dans des milieux aussi privilégiés intellectuellement et matériellement, ce livre constitue un beau témoignage sociologique sur une certaine gauche caviar. Pour les autres, une pièce de théâtre dans laquelle, dès le début, tous les ingrédients d’un drame sont présents.

En 1987, après avoir divorcé de Bernard Kouchner, Évelyne Pisier, mère de Julien, Camille et Victor (prénom d’emprunt) se remarie.

La famille vit sur un grand pied et se réunit en été à Sanary, dans leur propriété. On rit, on boit, on festoie de manière presque permanente. La famille s’élargit à une cour, faite d’amis, de relations, d’enfants adoptés.

Autour de la table, les débats sont encouragés. La liberté absolue est préconisée comme style de vie, on nage nus en famille dans la piscine privée. Mai 68 est passé par là. La grand-mère rejette les sous-vêtements, apprend à ses filles et ses petites-filles à faire pipi dans l’herbe. La liberté sexuelle est totale, la fidélité un concept désuet, le divorce presque une nécessité, l’allaitement une aberration. On parle de sexe constamment, on baise presque devant les enfants. Les attouchements sont considérés comme normaux, même entre générations différentes. Le beau-père mesure le sexe des garçons et photographie les fesses et les seins des jeunes filles.

Les enfants adorent leur nouveau beau-père attentif, prévenant et intelligent. L’emprise intellectuelle qu’exercent les adultes sur les adolescents imprègne tout le récit.

La grand-mère se suicide, laissant Évelyne perdre pied et s’enfoncer dans l’alcoolisme, qu’elle revendique comme liberté.

Le beau-père exemplaire, politologue en vue, procède à des attouchements sur le frère aîné, puis à des abus sexuels sur Victor.

Camille se tait. En adoration devant ce beau-père, tétanisée à l’idée de causer du chagrin à sa mère, elle obéit aux injonctions de Victor. Elle se consumera durant trente années, au cours desquelles divers troubles somatiques lui rappelleront sa lâcheté.

Elle ne sera sauvée que par l’amour de son compagnon, et par la naissance de ses enfants.

Décidée à ne pas leur faire subir le même sort que son frère, elle se confiera à sa tante, Marie-France. Cette dernière l’exhortera à en parler à leur père et leur mère.

Évelyne ne réagira pas comme prévu. Elle niera, minimisera les actes de son compagnon (« il y a eu fellation simplement, pas sodomie »).

Comment, au nom de la liberté, peut-on piétiner celle de ses enfants ? Comment peut-on transformer des victimes en bourreaux ? Évelyne accuse son fils d’avoir séduit son mari, pour le détourner d’elle !

Les deux sœurs vont dès lors sévèrement se brouiller. Quelques années plus tard, Marie-France se suicide, comme sa mère avant elle.

J’ai lu ce livre d’une traite. Le style est concis, percutant ; les mots précis et choquants, tout en restant pudiques.

J’ai détesté cette familia dysfonctionnelle où règne l’omerta. Victor m’a semblé incroyablement fort. Réfugié dans son travail puis dans sa famille, il est obsédé par l’idée de tourner la page et d’avancer.

Camille, plus fragile, est écrasée par son sentiment de culpabilité. Mais que pouvait faire une jeune adulte, fascinée par la personnalité et le charisme d’un tel beau-père ? Son courage m’a impressionnée.

Un livre coup de poing, qui nous rappelle qu’en France, sur une classe de 30 élèves, un ou deux en moyenne sont victimes d’inceste.

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